Hachette, Numilog et l’accès

Hachette prend le marché numérique du livre en compte. Livres Hebdo en rend compte ces jours-ci. Berlol le note également. Au printemps, le Groupe de Lagardère a déjà racheté Numilog, libraire électronique qui s’est développé depuis 2000 jusqu’à 2008, quand il signe des accords avec Gallica2.

La logique : après un marché basé sur l’offre, Hachette passe au marché centré sur l’accès lié à la demande. Dans le commerce du livre, en pleine Monarchie de Juillet, Louis Hachette passe des accords avec le ministre Guizot, alors à l’Instruction publique. Ainsi « l’Etat achète-t-il, entre 1831 et 1833, un million d’Alphabet et premier livre de lecture, écrit Jean-Yves Mollier dans Où va le livre? 2007-2008. EtLouis Hachette suscite-t-il une offre plus importante que la demande de sorte à créer, puis à développer un marché dans des proportions nouvelles. Avec lui, remarque Mollier, quelques-uns comme Michel Lévy, Pierre Larousse, etc., achèvent de « substituer une logique de l’offre à celle de la demande ».

L’éditeur moderne base donc son succès sur l’accès à la connaissance (comme le Net), sur le savoir encyclopédique (comme le Net) puis sur la soif de culture de toutes les catégories de la population (comme les Clubs), enfin sur le goût pour le loisir. Si l’on compare la naissance de ce mode éditorial du XIXe siècle avec celui du XXIe siècle, en affinant les grandes lignes et en observant ce qui déroule sous nos yeux (« On n’y voit rien! » s’exclame Daniel Arasse à propos d’histoire de la peinture, mais c’est la même chose partout, il suffit de regarder toujours plus, en déplaçant son regard, en réglant sa focale pour y voir mieux, pour ajuster, pour comprendre enfin ce que signifie la présence de tel ou tel élément sur le Net), on se rend compte qu’Hachette, qui vient d’acquérir Numilog, confirme sa place dans une nouvelle économie.

On l’a appelée la Net économie, elle se déploie dans un Nouveau Marché sur toutes les places boursières. Elle est traitée par des commandes virtuelles, sur des comptes bien réels, grâce à des outils, des techniques de marketing efficaces et qui happent une clientèle avide, non pas de littérature, mais d’une façon de vivre cool, et connectée. Cette clientèle achète des livres, des objets d’occasions, des vêtements. Elle charge des musiques – non, pardon, des sons -, et des films – des images. Elle lit beaucoup sur l’écran, souvent sans s’en rendre compte, parfois par intérêt professionnel, informatif ou culturel. Le Groupe Hachette, comme Editis sans doute mais on ne le voit pas encore tout à fait, a bien compris cela.

Outre les vidéos d’entretiens conduits par Michel Field, ex-philosophe, animateur TV d’émissions culturelles en prime-time sur la 5e, Arte, FR3, bientôt sur TF1, Hachette Littérature propose à l’internaute d’ouvrir un compte pour constituer sa bibliothèque idéale. Pour cela, on rentre son nom, son mail, son adresse postale, son secteur professionnel, la date anniversaire de ses enfants (si, si, comme chez Bayard Presse).

Une fois élaborée, cette bibliothèque « idéale » est donc une cible marketing parfaite. « Vous avez aimé ce roman? » « Vous souhaiteriez lire cet essai? » « L’anniversaire de vos enfants a lieu bientôt, voici ce que vous pourriez leur offrir! » « Le livre que vous avez sélectionné dans votre bibliothèque idéale est disponible en numérique sur livre électronique, en papier via notre boutique en ligne. » « Vous avez créé vote compte? Veuillez inscrire le numéro de votre carte bancaire. »

Bien sûr il y a un lien vers les librairies. C’est légitime. Mais la « traçabilité » du Net est plus efficace que n’importe quelle vitrine de libraire brick and mortar. La vitrine IRL s’adresse à la clientèle du quartier, du fichier de la libraire, tandis que celle d’un site d’éditeur s’adresse à toute la planète. Et la remise libraire est évidemment différente pour l’éditeur.

Si l’on revient à Louis Hachette et François Guizot, à la politique générale d’Hachette au cours de temps, notons que Stephanie van Duin dirige le pôle de développement du groupe Hachette (après en avoir dirigé le pôle numérique), mais aussi la commission numérique du SNE. C’est donc elle, en toute logique, qui négocie les pourparlers avec la Commission Européenne sur le droit d’auteur sur le Net (voir LH du 10/09/2008, article verrouillé réservé aux seuls abonnés « Le SNE défend à Bruxelles le droit d’auteur dans l’économie numérique », « la TVA et l’audiolivre », etc.

Les liens entre le pouvoir et Hachette ne datent pas d’hier. C’est même une trajectoire que la maison d’édition a mise en place bien avant de devenir un groupe d’éditeurs et de journaux. Tout en se rapprochant des instances décisives de l’Europe, faisant des priorités économiques du groupe un lobbying efficace, Hachette examine la demande et l’accès de sorte à y adapter son offre, comme elle avait substitué l’offre à la demande voilà près de 200 ans.

Les oeuvres et ouvrages édités par le Groupe Hachette seront par conséquent bientôt disponibles sur différents supports. Le support a toujours été déterminant dans les mouvements de commercialisation du livre. Les techniques d’imprimerie se sont modernisés en 1820-1830, la feuille est parfois remplacée par la bobine dès le premier tiers du siècle qui voit apparaître les journaux en grand nombre et l’école pour tous. Il est désormais indéniable que les liseuses et les écrans, avec la nouvelle forme de diffusion que cela suppose, remplace parfois le papier. Et que les éditeurs qui voient loin n’aient plus forcément besoin des libraires pour un accès mondial, et pour marier la Carpe au Lapin.

Face à de telles techniques de commercialisation, sans le portail attendu depuis huit ans, les libraires peuvent-ils tenir ?

(c) Constance Krebs, 13 septembre 2008.


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