Pourquoi à mon tour?

Montour est le nom de la maison de mon enfance.

Dans cette maison, certains ont peint, dessiné, photographié, d’autres ont écrit. D’autres encore se reposaient avant de filmer, de jouer, ou de se promener. On y a tous bossé, qu’il s’agisse de plâtre, de chaux blanche, d’escaliers, de poutres, de planchers. De monter des lits, puis de les descendre, de les faire, de nettoyer des salles de bains, de faire tourner une machine à laver, de tondre l’herbe, de tailler les poiriers, ou de ranger, à toute allure, avant l’arrivée annoncée des locataires… On mangeait de la brisure et du porridge. On se cachait, nous les enfants, quand on entendait les loc’s – couloir connu de nous seuls qui nous dérobait aux mondanités forcées de la salle à manger et du salon. Ma mère souriait, inlassable, aux voyageurs. Leur vendait ses confitures et louait trois chambres de guingois, mais « authentiques ».

J’y ai lu mes premiers livres – et ceux qui m’ont le plus émue, Le Grand Meaulnes, Balzac dans une vieille édition, Dostoievski, Conrad, et tout Gracq. Mon frère Bruno Krebs y a écrit quelques-uns de ses récits. Henry Bauchau qui venait aux vacances (un loc’ mais pas comme les autres) m’y a offert, pour mes vingt ans (fête dans la grange, sur la terre battue) deux petits livres – Pierre Jean Jouve et Gérard de Nerval -, décisifs. Mes amis parisiens d’aujourd’hui sont presque tous passés par Montour, en vacances, pour travailler, de passage.

Par hasard, par les locs, c’est le premier éditeur parisien à s’intéresser à Internet, Jean-Pierre Arbon, qui l’achète lorsque Montour est mis en vente.

Autour du lave-vaisselle, un début d’après-midi dans la cuisine, après une nuit sur des épreuves. Sans savoir ce qu’Arbon fait, je lui explique même ce que c’est, des épreuves. J’édite des ouvrages en free-lance, entre fab et édition. Il m’écoute en posant quelques questions. Il m’annonce qu’il est éditeur, justement. Me parle de son projet de quitter l’édition traditionnelle pour monter une maison d’édition où il n’y aurait pas de diffuseur, pas de stocks de livres, une relation directe avec le libraire et le lecteur. Je comprends rien, mais je sens qu’il tient un truc. On se revoit à Paris, dans d’autres cuisines, celle de Bruno de Sa Moreira, son associé. 00h00 est né peu de temps après. Première maison d’édition en ligne, elle a failli démarrer depuis Montour. Mais travailler ensemble depuis Paris est plus simple, en 1997.

Montour est revendu. 00h00 a fait son temps. Quelques retours dans l’édition traditionnelle ne me satisfont plus. Mailing lists, Litor, Cerisy, Fabula… Rivée à mon écran, j’en rêve, mais n’y vais pas. La fièvre Internet est retombée. Calme plat. Quelques-uns cependant continuent. Inventaire/Invention, les Ressources. Au détour d’une lecture, je croise F. Bon qui m’invite le lendemain, par mail, à participer à Remue. Sensation étourdissante de vertige, je n’ose pas.

Et puis, quand même. C’est trop bête, d’avoir fait partie de l’aventure 00h00 et de rester là, dans mon coin, sans rien faire. Alors j’appelle Jean Clément, de Paris 8, pour recommencer une thèse (vieux truc, encore, qui me taraude). Il me dirige vers Michel Bernard, à Paris 3. Alexandre Gefen, de Fabula, interrogé lui aussi, m’encourage: Oui, Michel, va le voir. Je prends RV. Vous avez un sujet? Non, juste une idée, l’édition en ligne. Les auteurs qui ont écrit sur papier y viendront. Je suis sûre de moi. Michel l’est moins, mais il fait confiance.

Bon, là-dessus, ouvre son Tumulte. Je tiens mon sujet. Un mail qui demande autorisation à l’auteur (vieux réflexe, idiot en l’occurrence, des droits d’auteur). Une réponse immédiate, qui accepte. Puis un deuxième mail: « Et Remue, au fait, tu t’y mets quand? » L’impression de tomber, encore, mais le vertige est cette fois celui d’une douce ivresse. Michel accepte l’idée de Tumulte, une partie classique avec Lautréamont, Baudelaire, une autre contemporaine avec Bon. Puis le texte se transforme, le plan aussi. La thésarde observe, prend note, enregistre, colloque – attend.

Lectures à l’écran. Fond noir, qui me dérange. Fond blanc qui m’arrange. Le commentaire, qui attire et qui gêne, etc. Je glisse. Et j’attends. Quoi? de trouver une méthode, peut-être, un outil surtout qui me correspond. Celui que j’utilise depuis dix ans, maintenant, évident pour moi, c’est l’ordinateur. Mais barrières techniques qui me bloquent. Heureusement, Julien Kirch, Alain Pierrot, Virginie Clayssen, Isabelle Aveline, Patrick Rebollar lèvent les barrières de leurs conseils, encouragements…

A mon tour, enfin, de tâter de l’édition en ligne, multi-support, multimédia. Et comme le web est 2.0, participatif, à ton tour, lecteur de répondre et d’intervenir dans les commentaires, les textes.

Plusieurs volets à explorer:

Celui de l’élaboration d’un blog, support mouvant (y écrire n’est pas comme y poster des commentaires ou y lire des posts), billets d’humeur. C’est lui qui se nomme Amontour, c’est son nom de domaine.

Celui de l’élaboration lente, irrégulière, d’une thèse que dirige Michel Bernard depuis Censier-Paris 3 sur ce drôle de roman, Tumulte de François Bon (merci, FB, d’avoir accepté cette drôle d’idée qui m’est venue).

Ceux, aussi divers que les textes à venir, des oeuvres à publier. Sous forme de blogs, de romans hypertextes, de sites, elles seront hybrides – et en libre accès. On en saura plus en avançant. Version imprimée sur papier disponible à la demande ou chez un éditeur partenaire. Version sur Cybook à l’étude. Droits d’auteur selon contrat du SNE, et évolution. (L’impression soudaine, en résumant ce projet qui me tient depuis si longtemps, de rédiger un bulletin de météo marine.) On trouvera ces éditions-là sous mon nom, faute de mieux, Constance Krebs éditions.

Celui de mon cours d’édition numérique, dont le plan est en ligne, pour que les étudiants puissent poser les questions qu’ils souhaitent, et qu’ils participent, à leur tour.

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  1. […] chez Hachette en 95, alors que déjà il y fomentait des troubles numériques) et Constance, (qui participa à l’aventure 00h.00.com) ont ouvert chacun leur […]

  2. […] chez Hachette en 95, alors que déjà il y fomentait des troubles numériques) et Constance, (qui participa à l’aventure 00h.00.com) ont ouvert chacun leur […]

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